Aperçu de l’atelier d’écriture avec Anita Van Belle (2)

Après avoir emmené les jeunes de l’Institut Notre-Dame dans l’univers des moines malmédiens, Anita Van Belle s’est rendue à Sourbrodt pour un atelier d’écriture à l’occasion des vingt ans de la Fureur de Lire. Intitulé « 20 ans, une fiction », il s’adressait à des adolescentes qui suivent maintenant depuis plus de deux ans, à raison d’un atelier tous les six mois, les séances d’écriture organisées par la bibliothèque de Waimes.

L’idée de base de l’atelier était celle-ci : après avoir exploré la vision qu’elle ont de leur futur : « Qui serez-vous à vingt ans ? Quelle vie souhaitez-vous ? Comment voyez-vous la société dans laquelle vous évoluerez ? », les participantes créent une fiction sur base de ce matériel.

Le soir du 14 octobre 2011, les premiers textes sont courts. L’écriture de leur avenir, la définition de leurs attentes n’est une tâche aisée pour les participantes. L’une d’elle, la plus jeune, (elles sont trois) souhaite devenir scénariste. Les deux autres bondissent sur ce qu’elles refusent : « la routine ». Carole veut vivre à fond avant d’être adulte : « L’adolescence est sûrement le meilleur moment dans une vie ». Florence façonne son futur : « Je me crée une vie originale, pas banale. »

L’un des exercices consiste à décrire l’une de ses journées, à vingt ans, à travers cinq statuts Facebook. Emma évoque un accident nucléaire. Florence, un 11 septembre bis. Carole milite. « Arrive à NY Airport JFK. / Suis à Central Park. 14h. Départ. / J’en reviens pas. 2500 femmes marchent avec moi. / Un événement pour les 5 ans de la 1ere marche des Salopes. / Un bon McDo, après l’effort, le réconfort. »

La réflexion produit un futur écologique et économique sombre et agité. Florence : « En 2017, il n’y aura plus de banquise. Le monde sera pollué. Tout sera hors de prix. Un fossé se sera creusé entre les riches et les pauvres. La vie sera plus dure qu’aujourd’hui. Il y aura encore plus de catastrophes. »

Sur base de ces éléments, les trois filles se lancent dans l’écriture d’une fiction. Elles ont vingt ans. Un événement les indigne et fait basculer leur quotidien. L’écriture est beaucoup plus fluide, les textes jaillissent d’un trait.

Florence pose habilement le contexte de cette journée, qui va basculer. « C’était un matin d’hiver. Il faisait froid ; le soleil brillait et en même temps, il neigeait. (…) Bianca prit son sac à dos et claqua la porte. Le ciel était bleu, mais la lune était encore là. Des flocons se coinçaient entre ses mèches blondes. Elle marcha rapidement jusqu’à son arrêt de bus. Ses pas crissaient dans la neige. Lorsqu’elle grimpa dans le bus, elle sentit que cette journée allait être parfaite. »

Carole poursuit la fiction de la manifestation new yorkaise. « Nous étions en train de marcher, scandant nos slogans, quand je vois trois types s’approcher d’une amie qui m’accompagne et l’empoigner pour la traîner dans une rue voisine ! (…) Je m’arrête et arrête les autres filles pour leur expliquer rapidement la chose. Evidemment, elles réagissent en moins de temps qu’il faut pour le dire. Nous nous élançons à la poursuite de ces connards. (…) Que cela se produise devant nous, aujourd’hui, c’est trop. Nos propos deviennent réels grâce à la vidéo du presque viol enregistré par les caméras de surveillance. (…) L’événement prend une tournure inattendue, immense ! »

Emma aussi imagine une agression. « Je me promenais dans la rue. Je comptais aller jusqu’à la gare : c’était un vendredi soir et je n’avais pas mon permis. Je me réjouissais de rentrer chez moi. Au fond de la rue, j’aperçus une jeune femme qui marchait sur des talons aiguilles. Elle était très mince, très jolie. Elle n’avait pas l’air de se soucier du froid, elle avait un décolleté, un T-shirt sans manches. (…) Elle regardait droit devant elle. Elle passa à côté de moi sans tourner la tête… Après quelques secondes, j’entendis un cri qui me perça le tympan. »

Les trois filles sont indignées par la violence : chez Florence aussi, une étudiante est victime, mais de l’agressivité de son entourage. « A 10 heures, lors de la pause, elle remarqua qu’une fille faisait l’objet de moqueries de la part d’une bande de filles plus âgées qu’elle. Bianca resta stupéfaite devant la tristesse qui émanait de ce corps si pâle. Et tout à coup, tout lui revint. Car elle aussi, dans son enfance, avait été blâmée et moquée par une élève, une seule, qui avait détruit son enfance. Elle en portait la marque, une cicatrice indélébile qui la rendait impartiale. (…) Elle se dirigea vers la petite et lui tendit la main. »

Ce geste coûte à Bianca, dont les autres élèves de l’établissement se moquent pour avoir « défendu une paumée. » Les trois filles prolongent leur indignation au travers d’un dialogue, qui clôt l’atelier de deux heures.

Emma Zanzen essaie de convaincre l’agresseur de la jeune fille qui se promenait sous la neige de laisser tomber. « J’ai essayé de dialoguer avec ce vieux fou pour ne pas trop brusquer la situation. L’Arabe ne comprenait que quelques mots de français. Je tentai de lui dire de s’arrêter. (…) Il ne comprit qu’un mot : « Respect ». D’un coup, il lança la jeune femme par terre et s’en alla le plus rapidement possible. La jeune femme et moi sommes devenues très amies. »

Carole Kupper rassure l’agressée, qui ne croit plus que militer peut faire bouger les choses. « C’est trop. Imagine que personne ne les ait vus ! Où je serai, moi, pour le moment ? Dans cette rue de Brooklyn, seule ? Peut-être morte ! Bien sûr que ça me révolte, mais je ne suis plus sûre de vouloir continuer. » « Non ! On était plus de 2000. (…) Je me serai inquiétée pour toi. Ces marches, on les fait depuis le début et jamais, on ne s’est perdues de vue. J’aurais tout fait dans l’autre sens pour te retrouver. Tu sais à quel point tu comptes pour moi. » « Je sais, mais rien ne sera plus pareil, Poppy. » « (…) Tout a été filmé. Ils iront en taule, si ça se trouve. Je ne peux pas continuer sans toi. Ce ne sera plus pareil et ça ne servira plus à rien si tu laisses tomber comme ça. »

Florence Schmitz défend son geste, sa « mini-révolution intérieure » face à une des « moqueuses ». « J’avais mes raisons d’aider cette fille. En fait, tu ne connais rien de moi. Tu ne sais pas qui je suis, ce que j’ai fait avant de venir ici. Tu es en train de me juger pour ce que je fais, pas pour ce que je suis. En bref, tu respires l’hypocrisie, ta remarque n’est pas fondée. (…) Il faut que tu saches quelque chose : j’ai du longtemps rester confinée dans ma bulle, retenir tout ce qui me venait à l’esprit et me taire quand je voulais partager mon opinion. Mais désormais, c’est fini. »

« Vingt ans, une fiction » s’achève. L’atelier, qui a peiné au démarrage à imaginer un futur proche/lointain a décollé pour révéler des indignées de caractère, prêtes à se battre aujourd’hui, pour elles et surtout, pour les autres.

 

Anita Van Belle

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